Suite au billet : Défi à Découverte

Ce texte s’inscrit à la suite du commentaire #27 de ce billet sur le carnet de Gilles Jobin. Si la discussion est nouvelle pour vous et que vous ne désirez pas lire tous les textes, Mario propose un résumé de la discussion jusqu’à maintenant dans son commentaire #26.

1- Apprentissage de qualité

Lorsque M. Péladeau mentionne : «je tiens cependant à rappeler que le critère ultime du choix d’une activité pédagogique c’est l’apprentissage que fait l’élève.». Nous sommes d’accord, l’important c’est l’apprentissage. J’ajouterais même un apprentissage de qualité. Je veux dire par là une compréhension conceptuelle versus le «drill and kill» de procédures abrutissantes trop souvent vues en mathématiques et où l’enfant n’y comprend finalement pas grand chose (c’est malheureusement aussi le cas d’une vaste majorité d’adultes d’ailleurs). «On prenait mon enfant pour une machine» mentionne Gilles. Il ajoute aussi «Je ne vois AUCUNE raison de faire faire des tonnes d’exercices aux élèves S’ILS ONT COMPRIS. L’important est l’assimilation des concepts, la possibilité de faire des liens entre eux et la possibilité de bâtir sur ces concepts.». Je suis à 100% d’accord avec cela. C’est ce qui explique d’ailleurs en ce moment une orientation vers les algorithmes personnels par rapport aux algorithmes traditionnels de calcul au niveau élémentaire. Le plus grave aussi est lorsque l’on croit comprendre alors que cela n’est pas le cas si l’on prend la peine de creuser un peu le concept. D’où l’importance essentielle du questionnement et du non-questionnement dont parle Gilles. Cela est aussi vrai et applicable à nous comme enseignant. Pour prendre un exemple personnel, malgré mon bagage mathématique et de très nombreuses lectures au cours des dernières années concernant la didactique reliée aux fractions, je peux maintenant vous affirmer qu’alors que je croyais comprendre les fractions, cela n’était pas réellement le cas. L’apprentissage du concept de fraction est très complexe et subtile. Il y a aussi une dimension culturelle qui confine notre conception de l’enseignement des fractions et de sortir de ce schème demande un certain effort de réflexion et de remise en question (j’en parlerai peut-être dans un futur billet). Je commence à peine à être satisfait du bout de chemin de réflexion que j’ai fait par rapport à ce thème.

2- Je le répète : avoir du plaisir à apprendre et à faire des mathématiques ne veut pas dire diminuer les exigences mathématiques.

M. Péladeau dit également : «Le fait que les élèves aiment ces activités ne nous dispense pas de la tâche de le vérifier». Je ne crois pas que quelqu’un s’objecte à cela!!! «Ceci dit, est-ce que ces jeux donnent lieu à des apprentissages signifiants et durables? Parfois oui, mais j’ai vu trop souvent des situations ou l’aspect ludique l’emportait sur l’aspect didactique.» Je voyais à l’avance cette réplique et c’est pourquoi j’avais pris la peine de préciser dans mon commentaire précédent qu’ « avoir du plaisir à apprendre et à faire des mathématiques » ne veut pas dire diminuer les exigences mathématiques. Dans son commentaire, Mario mentionne : «On s’entend donc sur le fait qu’une activité motivante et attrayante peut s’avérer meilleure qu’une autre ennuyante à condition qu’elle ait une valeur pédagogique. Si c’est ce que vous voulez dire, je suis à 100% avec vous. D’ailleurs je crois vraiment qu’il devient extrêmement dangereux de faire des activités ludiques faibles en apprentissage». Je suis à 100% d’accord avec la position de Mario. Cela me fait penser que nous ne savons des autres que ce que leur présence sur le web laisse transparaître. J’en profite alors pour mentionner que je ne suis pas quelqu’un qui fait des concessions sur la qualité des apprentissages. Edutainment, non merci. Je suis un pédagogue et les gens qui me côtoient savent que je peux être «pointilleux» sur les concepts mathématiques 🙂 . Cela me rappelle cette entrevue de Denis Guedj. Tout comme lui, il y a certaines concessions que je ne suis pas prêt à accepter.

3- Domaine d’expertise

Quant à la référence faite à l’apprentissage de la lecture, je dois dire que je n’y connais rien (ou presque!) quant à ce sujet. Il ne viendrait même pas à l’idée de me croire «connaisseur» sur l’apprentissage en générale. Par contre, quand on tombe dans la marmite de l’apprentissage et de l’enseignement des maths, là j’y suis à mon aise 🙂 . «C’est très facile de faire aimer les maths». Hum… Si l’on édulcore le contenu comme le mentionne Denis Guedj, d’accord… mais je crois alors que tout le monde y perd au change. Autant le pédagogue que les élèves. Toutefois, si l’on veut faire aimer les maths tout en visant une qualité conceptuelle, croyez-moi cela devient vite matière à de profondes réflexions avant de passer à l’action. C’est toutefois possible et très stimulant!

4- L’aspect ludique

«Je ne crois pas non plus qu’il soit possible et même souhaitable de vouloir à tout prix transformer la classe en une salle de jeux.» S.v.p. ne tombons pas dans les extrêmes. Tout dépend cependant de ce que l’on qualifie de «jeux». Trouver la solution à un problème de géométrie (fut-il abstrait) peut aussi devenir un «jeu» à un certain stade. Personnellement, quand je fais des maths, je m’amuse. Ok, je suis étrange 😉 . Tout comme Gilles, je crois moi aussi que l’aspect ludique est fondamental. Pas seulement chez les enfants, mais aussi chez les adolescents et les adultes. Je tente une question et une réponse. Pourquoi ai-je aimé les maths? Parce que pour moi je voyais cela comme un jeu. Je me propose d’ailleurs de réaliser un jour un collectif regroupant des jeux mathématiques à l’attention des élèves du secondaire. Je ne vais pas prendre de chance et je vais répéter à nouveau qu’avoir du plaisir à apprendre et à faire des mathématiques ne veut pas dire diminuer les exigences mathématiques 🙂 . Je partage son malheureux constat à l’effet que «si tant de nos concitoyens sont mathophobes , c’est à l’école qu’on le doit.»

5- Mot de la fin

De ma lecture sur le forum de l’AQED, je retiens la réflexion pleine de sagesse de Katherine : «C’est de penser qu’une méthode s’applique à tous sans discrimination qui m’achale, autant d’un bord que de l’autre. Et si on avançait mieux dans la diversité adaptée à chacun?»

4 réflexions sur « Suite au billet : Défi à Découverte »

  1. Je suis très occupé présentement et j’espère pouvoir alimenter de façon constructive ce message fort intéressant qui soulève bien des points importants. D’ici là, j’aimerais me citer moi-même pour réagir à l’utilisation de l’expression « drill and kill » que je connais bien et qui malheureusement, renvoie à une idée très répandue ches les enseignants mais, qui ne pas être partagée par les élèves:

    
    

    « There is a prevailing belief among educators that repeated practice has negative effects on student attitudes and motivation (Bennett, Finn, & Cribb, 1999). That belief is apparent in popular sayings such as « drill and kill » and is maintained and disseminated by influential writers (e.g., Kohn, 1999). It was interesting to find that we could not unearth a single experimental study demonstrating such a detrimental effect of drill and practice. In fact, the few published studies on the topic report either a lack of effect on attitudes (e.g., Davies, 1972) or positive effects on students’ motivation (McDermott & Stegemann, 1987; Smith, 1980; Weitzman, 1964) and on their attitudes toward the subject matter (Mevarech, Siber, & Fine, 1991; Vincent, 1977; Wittman, 1996) and the practice activity itself (Heath-Legg, 1992; Lanchantin,1991). Moreover, Nathan and Baron (1995) report that students often prefer drill-and-practice programs to other types of computer programs, including games and simulations. p. 774« 

    La recherche présentée dans cet article confirme d’ailleurs ces autres études et présente des résultats paradoxaux. Plus les élèves font des activités de pratiques, même un fois qu’il ont atteint une haut niveau de maîtrise, plus ils aiment ça, et plus ils trouvent cela utile!

    Surprenant? Ce n’est rien! Je reviendrai peut être un peu plus tard sur d’autres éléments.

    Peladeau, N., Forget, J. & Gagne, F. (2003). Effects of paced and unpaced practice on skill application and retention: How much practice is enough? American Educational Research Journal, 40, 769-802.

    P.S. Je n’ai pas droit de mettre l’article complet sur mon site, mais un internaute l’a fait. Vous n’avez qu’a chercher:

         peladeau "drill and kill"

    Sur Google. 🙂

  2. Ce que je dis, et je crois que vous serez probablement d’accord, c’est que de réaliser à répétition une procédure algorithmique ne conduit pas à une meilleure compréhension.

  3. Je dirais, la répétition d’une procédure algorithmique ne conduit pas NÉCESSAIREMENT à une meilleure compréhension. Cependant, l’automatisation de cette procédure par la répétition, conduit souvent à une meilleure compréhension d’habiletés plus complexes impliquant cette procédure algorithmique. Autrement dit, si l’élève a automatisé différentes procédures algorithmiques de base, il lui sera plus facile de d’évoquer ces algorithmes dans une situation problème qui nécessite l’utilisation de celles-ci. Des études fascinantes ont démontré ce fait. Je me souviens d’une étude où on a entraîné des enfants dans des classes du primaire à faire des opérations arithmétiques de base (addition, soustraction, division et multiplication). Dans une classe, on procédait à un enseignement standard avec peu de répétitions. Dans une autre classe, on a fait des séances journalières d’une minute de pratiques rapides jusqu’à ce que les enfants soient en mesure de faire entre 60 et 80 opérations de base par minute. Essayer, vous allez voir que c’est très rapide.

    On présente ensuite aux élèves des deux classes, une équation avec un inconnu, du genre 2 * x = 8 ou 3x + 3 = 15. Une majorité des élèves de la classe « fluency » ont tout de suite dit quelles étaient les réponses à ces équations et ont tout de suite compris ce dont il s’agissait. Les autres élèves de cette classe ont réussi à résoudre ces problèmes simplement en énonçant le principe de l’équation ou une règle de transformation. Temps d’instruction: environ 3 minutes.

    Dans l’autre classe, aucun élève n’a réussi à résoudre ce problème et ce n’est qu’après plusieurs heures d’instruction et de pratiques qu’ils ont été en mesure d’atteindre le niveau de performance initial et le niveau de compréhension de l’autre classe. Même en tenant compte du temps passé à automatiser ces habiletés, les élèves de la classe fluency ont compris plus de choses en moins de temps.

    En psychologie cognitive, on interpréterait ces résultats en disant que l’automatisation de ces habiletés par la pratique répétée a facilité la rétention et la mobilisation de ces habiletés en moment opportun. Cette automatisation a également réduit la charge cognitive nécessaire à la résolution de ce problème et permit à l’élève de concentrer son attention sur les éléments nouveaux.

    Les autres avantages d’une automatisation sont l’endurance et la résistance à la distraction. Avec cette approche, même les élèves avec des déficits d’attention réussissent et obtiennent de bons résultats. Des recherches ingénieuses ont montré que les élèves qui ont automatisé ces opérations à un très haut niveau peuvent accomplir des opérations arithmétiques sans erreur même lorsqu’on leur met des écouteurs sur la tête et qu’on leur leur fait écouté un énoncé de nombres au hasard.

    Quant à la résistance, c’est particulièrement utile lorsqu’on leur demande de faire de longues opérations arithmétiques, comme lors d’un examen ou d’un cours. Les élèves qui comprennent mais n’ont pas automatisé seront fatigués « mentalement » après 15 minutes ou une demi-heure. Mais pas ceux qui ont automatisé les habiletés de bases.

    Et je passe sous silence la rétention à long terme. Si l’étudiant ne pratique pas une habileté qu’il a comprise, il l’oubliera dans quelques semaines, au plus quelque mois. Ma thèse de doc portait entre autre sur cet aspect et visait à mesurer ce qu’il restait d’un cours de méthodes quantitatives après 5 ou 6 mois. Laissez moi vous dire qu’il ne restait vraiment pas grand chose chez ceux qui avait compris mais pas pratiqué. Les différences étaient énormes entre les gens qui n’avait pas pratique, ou juste assez pour comprendre et ceux qui avaient fait du « surapprentissage » (jusqu’à 2 écarts-types).

    Autant de raisons pour ne pas rejeter du revers de la main la pratique répétée.

    Je pourrais également vous donner le témoignage d’une de mes étudiantes universitaires qui a réussi à comprendre une matière difficile qu’elle n’avait pas du tout comprise, après que je lui ai fait faire des pratiques sur des habiletés qui pour elle n’avaient rien à voir avec la matière en question. J’avais simplement automatisé les habiletés de base nécessaire à la compréhension de cette matière.

    Alors, est que vous croyez toujours qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer une fois que l’on a compris le principe d’une procédure algorithmique?

  4. J’ai longuement hésité avant de publier une quelconque réponse de peur de replonger dans une intarissable source de débats pas toujours aussi constructifs que souhaité. Je vous sais très prolifique lorsque vient le temps de défendre vos idées. Je crois que certaines parties de l’article 10 Myths (Maybe) About Learning Math cadrent bien avec divers éléments des propos discutés ici.

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